
C’est une vieille promesse qui m’était sortie de la tête. La récente intervention télévisée du Président de la Transition me rappelle mes devoirs. Montrer aux plus jeunes que, lorsqu’on promet, on fait. Les gens pensent que, parce que mon propre pays est en guerre, les règles du journalisme changent. Voyons ce qu’il en est!
La guerre est un contexte particulier. Il y a les risques pour la vie des gens, il y a les risques d’exposer inutilement la vie des combattants, et plus important, chaque armée tient à préserver ses secrets militaires. Cela, tout le monde le comprend.
Pour le journaliste, il s’agit de se rendre dans les zones de conflit, pour informer les gens sur les événements qui s’y déroulent. C’est grâce aux reporters de guerre qu’on a des photos de guerre. Il y a aussi ce qu’on appelle le journaliste embarqué. Dans ce cas, le reporter est pris en charge au sein d’une unité militaire. Quelques fois vous les voyez à la télévision en tenue militaire. C’est-à-dire qu’une unité militaire le prend en charge afin de s’assurer de sa sécurité. L’armée ne doit pas être obligée d’engager des hommes pour venir le sauver, s’il commet des imprudences.
Mais le contexte de guerre n’affranchit pas le journaliste des règles de son métier. Il doit mener des enquêtes, vérifier des infirmations, recueillir des témoignages. Les normes de travail sont les mêmes qu’habituellement. L’exactitude des informations, l’impartialité, l’équité et l’équilibre.
Ce qu’il dit doit être vrai. S’il raconte quelque chose, il doit dire ce qui s’est exactement passé. Sans retrancher quelque chose, et sans ajouter quelque chose. Le journaliste n’est pas là pour prendre parti. Ce n’est pas son rôle de dire quelle armée a tort et quelle armée a raison. Cette question ne le regarde pas. L’équité veut dire qu’il accorde le même traitement aux deux armées en conflit. L’impartialité veut dire que ses propres sympathies ne comptent dans son travail. Tout le monde voit bien que si le journaliste marque ses préférences, les informations qu’il va fournir s’en trouveront déséquilibrées. Et ce n’est pas ce qu’on lui demande.
L’armée qui accepte d’embarquer un journaliste dans une unité combattante doit savoir toutes ces choses. Ce n’est pas parce que vous avez embarqué un journaliste qu’il va devenir un membre de votre service de communication. Parce qu’il y a une énorme différence entre journalisme et communication.
Le journaliste informe. Le communicateur cherche à persuader. Donner des informations piégées à l’ennemi, ça fait partie de la stratégie militaire. Ce travail d’intoxication de l’ennemi, ou même de l’opinion publique, c’est une propagande qui est dévolue au service de communication des armées. Si un journaliste fait ça, il sort de son rôle. Il ne fait plus un travail de journaliste. En quelque sorte, il devient un mercenaire de la plume. Il fournit aux gens des informations tronquées ou bidouillées.
On voudrait bien que je me mette au service de mon pays qui est en guerre. Cela n’est pas possible pour un journaliste, car chaque métier a ses règles et ses contraintes. Quand un quartier ou un immeuble est en feu, le pompier ne peut pas choisir les gens qu’il va sauver. Si je suis sapeur-pompier, je ne peux pas entrer dans le feu de Sankaryaré et chercher la boutique de mon cousin. Dans un hôpital, un médecin ne peut pas refuser de soigner quelqu’un parce qu’il n’aime pas cette personne. Même le nouveau mari de votre ex, vous devez le soigner. Avec la même application.
Ce qui fait que la notion de journaliste patriote est un non-sens. Je dirais même, une aberration. Si je veux me mettre au service de l’armée de mon pays, je quitte le journalisme. Et j’entre dans le service de communication de l’armée. Je ne peux pas dire que je suis journaliste. Ce qui fait que les gens me font confiance. Alors que dans les faits, je leur fournis des informations inexactes. Même l’armée de mon pays prend des risques en employant un tel truqueur. Car si l’ennemi m’offre plus d’argent, je vais rester dans les casernes de mon armée nationale, et publier des informations qui servent l’ennemi. Une recrue triplement nocive.
Je suis désolé, j’aurais aimé vous dire autre chose. Mais cela ne m’est pas possible. Je ne peux pas profiter de votre confiance, et vous raconter n’importe quoi. Un journaliste patriote n’est plus un journaliste. C’est même un mauvais sujet dont il faut se méfier au plus haut point.
Si un confrère ou un spécialiste a quelques corrections, des rectifications, ou des compléments à faire, il est évidemment le bienvenu. Car une seule tête ne suffit pas à l’homme.
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