
Ceci est une tribune de Dr Hyacinthe W. OUÉDRAOGO, écrivain, enseignant-chercheur, président du Mouvement conscience nouvelle (MCN) et membre du Groupe d’initiatives pour la refondation de la Patrie (GIRP) sur le projet de fédération entre le Mali, la Guinée et le Burkina Faso
L’annonce, le jeudi 09 février 2023, du projet ambitieux de la mise en place de la fédération Mali-Guinée-Burkina Faso, a suscité bien de réactions et surtout une euphorie manifeste de la part des jeunes et des partisans du panafricanisme. Si depuis des décennies, la CEDEAO qui s’est dévoyée et a perverti sa mission, n’a pas permis l’évolution vers le fédéralisme tant souhaité par les peuples, cette nouvelle initiative du G3 est porteuse d’espoir. Mais il faut être réaliste, l’aboutissement de ce projet noble ne sera pas un parcours sans embûches. De par le fait avéré qu’il va à l’encontre des intérêts impérialistes, les oppositions venant des grandes puissances aussi bien que de leurs valets locaux seront multiples.
1. Un rappel historique
Le combat pour le panafricanisme est un héritage de la longue lutte pour l’identité noire menée depuis la fin du XVIIIe siècle par le pan-négrisme et porté au début du XXe siècle par WEB Du Bois et Marcus GARVEY. De 1900 à 1945, l’impulsion de la lutte fut ainsi assurée par la diaspora. Avec la naissance de la négritude dans l’entre-deux-guerres et les luttes pour les indépendances en Afrique, l’élite intellectuelle africaine se voit propulser aux premières loges du combat. Le passage de témoin entre WEB du BOIS et Kwame NKRUMAH se passa au 5e congrès panafricain de Manchester en 1945.
Kwame NKRUMAH (Ghana) avec des intellectuels et des leaders politiques engagés comme Cheikh Anta DIOP (Sénégal), Sékou TOURÉ (Guinée Conakry), Joseph Ki-ZERBO (Haute-Volta), Julius NYERERE (Tanzanie), Jomo KENYATTA (Kenya), Modibo KEÏTA (Soudan français/Mali), Patrice LUMUMBA (Congo) et bien d’autres constituèrent (après la diaspora), la deuxième génération de la lutte panafricaniste. À partir de 1958, ils se font les chantres de l’Unité africaine qui procède de l’union des États. Des écrits comme << Africa must unite >> (l’Afrique doit s’unir) de Kwame NKRUMAH et << Histoire et Conscience nègre >> de Joseph Ki-ZERBO en sont évocateurs. Ils étaient convaincus que la seule voie du développement de l’Afrique passe par la suppression des frontières étatiques héritées de la colonisation qui a consacré la balkanisation du continent. Aussi soutenaient-ils : << les frontières étatiques sont les cicatrices de la colonisations>>.
Mais les panafricanistes ont prêché dans le désert. Ils ont tenté en vain, au moment des indépendances et même après, de convaincre les dirigeants des États africains à opter pour le fédéralisme et non pour le souverainisme. Les souverainistes, par égoïsme ou par crainte des représailles des métropoles furent hostiles à la mise en place de grands ensembles politiques. Un tournant de l’histoire fut manqué car ils ne surent pas tracer, dans un leadership visionnaire, les sillons du fédéralisme. La création de l’Organisation de l’unité africaine (OUA) en 1963, était, de fait, l’expression de l’échec du fédéralisme ou du macronationalisme et le triomphe du souvrainisme donc du micronationalisme en Afrique. Jusqu’à nos jours, l’Unité africaine (UA), fille de l’OUA, n’est rien de plus que l’image d’une Afrique désunie et veule face aux autres continents.
Les divisions internes alimentées par les puissances occidentales eurent raison des fédéralistes qui se scindèrent en plusieurs blocs. Ennemis déclarés des impérialistes, Kwame NKRUMAH, Modibo KEÏTA, Patrice LUMUMBA et Sékou TOURÉ furent combattus de toutes parts. Patrice LUMUMBA est assassiné en 1961 avec la la complicité des Belges. Fragilisé à l’intérieur de son pays et isolé sur la scène africaine, Kwame NKRUMAH est finalement renversé par un coup d’État militaire en février 1966. Modibo KEÏTA subira un sort similaire en 1968. Si Sékou TOURÉ parvient à se maintenir au pouvoir jusqu’en 1984, l’économie de son pays fut victime de sabotage et de torpillage surtout de la part de la France.
2.La révolution sankariste et le fédéralisme africain
Thomas SANKARA avait bien conscience de la nécessité des États africains à s’unir et à former de macro-États. Avec le Ghana voisin, la dynamique fut lancée dès l’entame de la Révolution.
✓Novembre 1983, signature d’un traité de défense mutuelle entre le Burkina et le Ghana, et début d’une intense coopération militaire.
✓ 1983 et 1985, tenue de manœuvres militaires conjointes dénommées respectivement Bold Union (Union courageuse) et Team Work (Travail d’équipe).
✓En avril 1885, un projet d’intégration politique entre le Burkina Faso et le Ghana est rendu public. SANKARA avait même pensé à une fusion entre les deux pays : l’Union Ghana-Burkina.*
✓ Août 1986, accords de la commission mixte pour la création d’une instance politique chargée de réfléchir sur un calendrier consensuel sur l’union politique des deux pays dans 10 ans.
✓Création d’institutions mixtes dans les domaines de l’énergie et des transports.
✓ Vision de regroupement dans une même zone monétaire pour faciliter l’intégration économique. Les échanges de produits étaient envisagés entre le bétail et la viande du Burkina contre le bois, les noix de cola et le sel du Ghana.
✓ Une harmonisation de la législation dans le domaine juridique et criminel.
✓ Le maintien des liaisons interfrontières entre Bolgatenga au Ghana et Pô au Burkina Faso.
✓ Un projet de liaison téléphoniques et de transmission d’émissions télévisées était exploré.
La suite de l’histoire est bien connue. L’assassinat du président SANKARA avec la complicité de certains États voisins a consacré l’abandon de ce projet. l’Union Ghana-Burkina qui devrait se concrétiser au plus tard en 1996 ne verra jamais le jour.
3. De la responsabilité des peuples du G3
Tout ce passé jonché d’obstacles contre l’union des États ouest-africains nous prouve, à volonté, que la fédération n’est pas un long fleuve tranquille. Loin d’être une question d’excitation de foules, elle interroge la conviction et la combativité de chaque citoyen. La réalisation de la Fédération Mali-Guinée-Burkina Faso, au delà de la bonne volonté des dirigeants politiques, incombe aux peuples de ces trois pays. À partir de maintenant, la France et ses complices trouveront que les présidents de ces trois pays sont allés trop loin dans leur quête de liberté et de développement. Les présidents TRAORÉ, GOÏTA et DOUMBOUYA seront les cibles de complots sordides ourdis par l’impérialisme pour les discréditer, les isoler ou même les éliminer. Les réseaux français de perpétuation du néocolonialisme voudront leur réserver le même sort que ceux de Patrice LUMUMBA, de Kwame NKRUMAH, de Modibo KEÏTA et de Thomas SANKARA. Et pour de tels plans, ils ne manqueront pas d’alliés intérieurs et extérieurs. Les pressions politiques, diplomatiques, économiques vont sans doute s’accentuer. La flambée des prix, les pénuries de tous genres seront orchestrées. On risque de voir le terrorisme grimper à un autre palier d’intensité. Sous le magistère de Thomas SANKARA, la guerre contre le Mali de Moussa TRAORÉ n’était rien d’autre qu’une mise en garde de la France et de ses alliés contre la Révolution. De telles menaces peuvent refaire surface.
La raison de toutes ces oppressions est simple: la déstabilisation. La France, en Afrique, peut assister passivement au morcellement d’un pays comme la Somalie ou le Soudan mais jamais, elle ne peut tolérer la fédération d’États. Au Mali, la France peut tolérer et même encourager la création d’un autre État comme l’Azawad mais elle estime que les Africains n’ont aucun droit à fédérer leurs États pour mieux faire face à leur destin commun. Le Sahel à en croire les géologues est un scandale minier et les multinationales sont prêtes à tout pour y garder une mainmise. La politique de la France depuis la conquête coloniale est d’imposer, par tous les moyens, le micronationalisme en Afrique pour mieux exploiter l’Afrique. Malheureusement, elle a toujours bénéficié du soutien de valets locaux et ce, jusqu’à ce jour.
L’histoire va-t-elle se répéter ? Une chose est certaine : la réussite et même la célérité du projet de fédération du G3 dépend de la culture du patriotisme à promouvoir au sein des masses laborieuses. Le projet doit reposer sur l’élevation du niveau de conscience politique, de la veille citoyenne et surtout de l’aptitude des populations à se surpasser. Il faudra payer le prix, de la sueur, des privations extrêmes et même du sang. À l’image des Japonais qui, après la Seconde Guerre mondiale, ont bravé tous les défis dans le seul soucis de relever leur pays mis à genoux par la dévastation de la guerre, la génération actuelle a sa partition à jouer. La jeunesse de ces trois pays que sont le Mali, la Guinée Conakry et Burkina Faso doit apprendre à renoncer à beaucoup de privilèges en vue de supporter la facture de la traversée du désert que nous réservera cet ambitieux projet fédéraliste si nos dirigeants politiques avaient tout le courage pour véritablement l’emprunter.
Après les instructions faites aux ministres des Affaires étrangères de ces trois pays, il est maintenant attendu le Sommet des chefs d’État pour impulser toute la dynamique à ce qui devra être un tournant décisif de l’histoire de l’Afrique occidentale.
Dieu bénisse l’Afrique !
Dr Hyacinthe W. OUÉDRAOGO, écrivain, enseignant-chercheur, président du Mouvement conscience nouvelle (MCN) et membre du Groupe d’initiatives pour la refondation de la Patrie (GIRP.
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