
Le premier Ministre Appolinaire Kylem de Tambela s’est exprimé ce 30 mai devant les députés sur l’état de la nation. Un discours emprunt de pragmatisme et d’engagement. Nous avons recueilli ce 01 juin l’avis de Dr Hyacinthe Ouédraogo, enseignant chercheur sur cet oral.

Eclair info : Dans la forme comment avez-vous trouvé le discours du Premier Ministre ?
Dr H O: Dans la forme c’est un discours substantiel, réaliste et très ambitieux. C’est un discours qui prend en compte les questions chaudes du moment, relatives à la crise sécuritaire, l’organisation des forces combattantes, la réforme du système éducatif, la refondation de la nation, le désenclavement avec le projet de construction de route et enfin la question de diplomatie et relations bilatérales. Dans l’ensemble, il a fait un tour sur l’actualité.
Eclair info : Dans son discours le PM a relevé que certains partenaires ont refusé de vendre de l’armement au pays ; pour vous qu’est-ce qui pourrait justifier cette réticence ?
Dr H O: La réticence des partenaires traditionnels à faciliter l’acquisition des armes au Burkina Faso est sans doute liée à la rupture politique de la vie du pays. Le Burkina Faso a donc payé le prix de cette rupture parce que les partenaires traditionnels étaient sans doute proches de la France. Parce que les accords militaires prévoyaient que les accords avec la France devaient se faire avec l’aval de la France du même coup tous ceux qui nous vendaient des armes étaient proche à la France. Alors que depuis l’accession du capitaine Ibrahim Traoré à la présidence, il a privilégié le renforcement de l’axe Ouaga-Bamako et du fait que le Mali était proche à la Russie du même coup cela à alerter les anciens réseaux qui ont voulu donc nous faire payer le prix de cette rupture et ensuite on voit que la rupture s’est renforcée avec les accords militaires qui ont été dénoncés par le démantèlement de la base française et ensuite la suspension de France 24 et RFI. Tout cela n’a pas été donc sans vexer la France et les partenaires traditionnels. Et pour moi ce sont des repressions pour amener le Burkina Faso à revoir la copie.
Eclair info : « le pays n’avait pas une armée digne des défis du moment » a affirmé le PM Tambèla ; cette assertion est-elle fondée ?
Dr H O: Je crois que l’affirmation est bien fondée parce que la mission de l’armée, c’est de veiller sur l’intégrité territoriale, la défense de la patrie ; tel n’a pas été le cas de 2015. Voilà pourquoi près de 50% du territoire ne sont plus sous le contrôle de l’armée. Et on sait aussi qu’il y’a des critères qui définissent une armée nationale ; une armée qui est en accord avec les autorités politiques définies, sa politique de défense, c’est aussi une armée qui à mon sens est apte au combat. Mais quand on regarde les détails apportés par le Premier ministre, notre armée était sous-équipée, mal organisée, manquait d’effectif qui puisse donc faire face aux hordes terroristes. Et même au sein de l’armée cette cohésion n’était pas évidente, le Pm l’a évoqué. Une armée, c’est aussi l’efficacité opérationnelle et il n y’a sans complicité entre les éléments qui composent les unités. Une armée sans unités compétentes, actives n’est plus aussi une armée. Tous ces éléments ressortent dans le discours du Premier Ministre. Et ce sont les mèmes éléments qui justifient que notre armée n’était pas digne de ce nom.
Eclair info : La question de la tenue d’élections semble être occultée par le PM dans son discours, est-ce à dire que la charte ne sera pas respectée ?
Dr H O: La charte de la transition est une chose et la réalité du terrain en est une autre. Et aujourd’hui tout le monde est unanime que tous ceux qui souhaitent le meilleur du Burkina Faso ne peuvent pas parler d’élections. Pourquoi des élections ? Des élections pour en faire quoi ? Parce que la priorité actuellement c’est la reconquête du territoire. C’est assurer la sécurité aux populations, c’est triompher de la crise humanitaire qui a causé des milliers de déplacés internes, comment veiller donc à les reloger, à leur trouver de la nourriture et au-delà de cela à leur trouver un emploi décent qui puisse leur rendre la dignité humaine. Tout cela rentre dans les priorités du moment. Et quand on parle d’élections, je ne sais pas quoi faire avec ? Parce que ces élections pour trouver des dirigeants consensuels que nous avons déjà. Je ne dis pas que tout est parfait mais à mon sens, il faudra travailler à renforcer la gouvernance actuelle, à la rendre plus vertueuse, à la rendre plus consensuelle, à lui permettre d’avoir les moyens d’action pour que le peu de politiques que la transition déploie qu’elle puisse les déployer davantage. Aujourd’hui je ne crois pas qu’on puisse parler d’élections même si la charte de la transition prévoit des élections en juin 2024. La réalité du terrain nous prouve qu’on ne pourra pas recouvrer l’intégralité du territoire avant juin 2024. Alors à mon sens il faut travailler à triompher du terrorisme, travailler comme d’ailleurs l’a dit le Premier ministre à refonder l’Etat, la nation, travailler à réaliser une nouvelle constitution calquée sur nos valeurs, qui est le reflet des aspirations des masses populaires et à l’issue de cela la constitution va prévoir le modèle de gouvernance ou le modèle de démocratie qui soit l’émanation du peuple. C’est à partir de là qu’on pourra parler d’élections pour trouver un nouveau dirigeant pour nous conduire vers d’autres horizons. Mais pour l’heure actuelle si on parle d’élections ça ne pourra concerner quelques villes du Burkina Faso. Ces élections ne vont même pas refléter la réalité du peuple et peu même vont s’intéresser. Pour moi parler d’élections actuellement, c’est une préoccupation non-sens parce que même les grandes nations n’ont pas lancé leur démocratie en se fondant sur des élections mais en se basant sur des institutions fortes, un système de gouvernance qui puisse permettre le développement de la démocratie. Pour finir sur la question de la charte de transition, elle pourra être revue. Ce sont des assises nationales qui ont permis de l’établir et on peut encore convoquer des assises actuellement pour proroger la transition ou à défaut trouver des voies et moyens pour que les élections soient repoussées en 2025 sinon en 2026 ou plus pour permettre à la transition actuellement qui a encore l’onction, l’approbation de déballer ces politiques pour le bien-être du peuple.
Eclair info: Le PM ne semble pas prêt à abandonner son projet de fédéralisme, n’est-il pas trop ambitieux ?
Dr H O: C’est vrai que nous n’avons pas un consensus minimal national mais cela n’entame en rien la réalité qui est que tôt ou tard nous partions à une fédération. Je dirai même au-delà des trois États, il faut qu’avec le temps, il faudra associer la plupart des États de l’Afrique de l’ouest. On aime le dire les micros États en Afrique, les frontières actuelles de nos États sont les conséquences de la colonisation et il n’y aura jamais de développements réels sans qu’on aille à des grands états, au fédéralisme.
Eclair info : Sur 10, combien vous attribuez au premier ministre ?
Dr H O: Une note au premier ministre, je dirai la note de 08/10. Parce que ce fut un discours assez clairvoyant, un discours explicite qui permet de comprendre ce qui a été fait jusqu’à présent et qui sera fait dans le futur. Comme je l’ai déjà dit au début c’est un discours qui prend en compte les différents aspects de la vie de la nation.
D SWDG
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